Discours de Monsieur le Conseiller d'Etat Charles Beer
Soirée à l'occasion de la Journée internationale dédiée à la mémoire de l'Holocauste et la prévention des crimes contre l'humanité
Mercredi 27 janvier à 19h45, Halle 71, Palexpo
Seule la version orale fait foi.
«Monsieur le Président (Me Alain Bruno Lévy),
Monsieur le Président du Grand Conseil,
Monsieur le Procureur Général,
Son Excellence, Monsieur l’Ambassadeur d’Israël auprès des Nations Unies,
Madame la Conseillère nationale,
Monsieur le Maire de Genève,
Mesdames et Messieurs les députés au Grand Conseil des cantons de Genève, Vaud, Valais et Fribourg
Mesdames, Messieurs,
"C’était quatre jeunes soldats qui avançaient avec précaution, la mitraillette au côté, le long de la route qui bordait le camp. Lorsqu’ils arrivèrent près des barbelés, ils s’arrêtèrent pour regarder et en jetant des regards lourds d’un étrange embarras sur les cadavres en désordre, les baraquements disloqués et nous, rares survivants." Parmi les survivants, Primo Lévi, qui a écrit ces lignes. Elles contiennent en elles le "nous", celles et ceux qui ont vécu l’indicible, qui se sont parfois tus ou qui ont témoigné. C’était un 27 janvier 1945. Les soldats de l’armée rouge s’avançaient vers Auschwitz.
65 ans ont passé.
"Pour la première fois, l’homme avait donné des leçons à l’enfer", dira André Malraux.
Un travail de mémoire, devoir de mémoire, aujourd’hui, nous sommes réunis, lors de cette Journée de la Mémoire de l’Holocauste et de prévention des crimes contre l’humanité. Une nécessité de se souvenir tous les jours, car l’essence même de l’être humain ne subsiste réellement que quand il n’oublie pas que ce qu’il est, il l’est devenu, que celles et ceux qui sont morts, celles et ceux qui ont survécu sont là. En nous. Dans les textes. Les témoignages. Notre mémoire. Comme l’écrit Hélène Berr dans son Journal le 30 novembre 1943: "La seule expérience de l’immortalité de l’âme que nous puissions avoir avec sûreté, c’est cette immortalité qui consiste en la persistance du souvenir des morts parmi les vivants."
Un processus de mémoire, de retour au passé est absolument indispensable pour redonner du sens à l'histoire de l'humanité. Nous voulons rappeler les disparus, mais aussi le sort des rescapés. Nous voulons les honorer. Nous voulons faire revivre, le temps d'un message, les innocents tragiquement disparus. Nous voulons nous élever contre cette perte irrémédiable. Nous sommes inconsolables de cette tragédie et nous voulons le dire, le redire. Nous voulons lire. Nous devons lire. Pourtant, le témoignage n’est pas comme un autre ouvrage que l’on commencerait et terminerait. Non, il est là, perpétuel, ancré dans le vivant, dans la chair de l’humain.
La culture est notre outil de conviction et de transmission pour activer la réflexion individuelle et collective, pour étoffer les perceptions, aller plus loin, dépasser le connu, bousculer l’indifférence. Avoir les yeux ouverts.
Exposition, film, témoignages disent l’indicible. Je pense notamment au film "Des récits contre l’oubli – mémoires croisées", proposé à tous les visiteurs de l’exposition pendant quelques jours puis aux jeunes de nos écoles via leurs enseignantes et leurs enseignants. Je pense aussi au film "Il faut parler !" de Carole Roussopoulos qui donne la parole à Ruth Fayon, à "Survivre et témoigner" qui permet à six rescapés de la Shoah de raconter leur fuite, leur passage de la frontière suisse, à "Auschwitz, témoignage de 4 survivants", réalisé par 3 élèves du CEC Emilie-Gourd avec un dialogue de très jeunes déportés dont Ruth Fayon.
"Les Justes suisses, des actes de courage méconnus au temps de la Shoah", éclaire les actions remarquables des Justes. Une manière d'honorer celles et ceux qui n’étant pas de confession juive et qui ont sauvé des Juifs.
Dire l’indicible passe par ces documents essentiels, par ces passeurs d'histoire: je veux parler des grands témoins, de moins en moins nombreux. Il y a urgence à collecter encore les paroles des survivants. Avec eux, il faut partir de l’Histoire pour interroger l’histoire et ses plaies. Leurs voix, leurs sentiments, leurs expressions doivent demeurer. "Horror ! Horror ! Horror !" écrit Hélène Berr avant son arrestation. Ne pas oublier l’horreur - que nos enfants, les enfants des enfants n’oublient jamais face au temps qui passe. Pour éduquer à la paix aussi en ouvrant des perspectives d'espoir.
Ne pas oublier. Construire sur ces décombres, un avenir encore possible. La préoccupation est largement partagée par le Département qui propose chaque année aux écoles, aux enseignants et aux élèves de s’arrêter le temps d’une journée pour entendre, voir, ressentir, comprendre, approfondir. Il ne s'agit pas de jeter un œil, mais de regarder frontalement cette histoire passée. Il nous faut l'affronter. Là est notre devoir et notre travail collectif pour imaginer un futur différent.
Il doit s’agir véritablement d’une éducation en profondeur : s’immerger dans l’émotion, et partant reconstruire les données factuelles, se doter des outils d’analyse adéquat pour les mettre en perspective et capter le présent dans lequel nous vivons. Tout faire, tout dire, tout mettre en œuvre pour que l'on puisse dire: "plus jamais cette abomination !" Nous ne serons jamais apaisés. Mais nous pouvons faire acte de responsabilité. C'est le choix de mon département et de la CICAD.
Nous avons ce soir à prendre la dimension de la force des valeurs, de la foi, du courage et de la dignité d’hommes et de femmes qui n’ont de cesse de témoigner, de parler de l’indicible pour faire avancer l'humanité hors des ténèbres, malgré le Cambodge, la Bosnie, le Rwanda ou le Darfour.
Il nous faut éduquer et former en permettant aux jeunes de découvrir des destins et des personnalités admirables, valeureuses, remarquables. Les jeunes ont beaucoup à apprendre de ces figures emblématiques du courage et de la lumière de l'Humanité pour grandir et se déployer à leur tour. Oui, il est important de rencontrer des femmes et des hommes forçant le respect, l’admiration et la réflexion sur les droits et les devoirs qui structurent nécessairement la vie de chacun pour vivre ensemble dans la paix et le respect des valeurs.
Par l’exposition proposée, par l’usage de la technique la plus moderne, par les films et la parole donnée aux témoins, la CICAD contribue à l’éducation de nos jeunes : je tiens à lui exprimer ici ma haute considération, ma vive reconnaissance et mon profond sentiment de gratitude.
Merci aux témoins, aux rescapés, ici présents de poursuivre le chemin de ce travail âpre, rigoureux et nécessaire.
Merci à la CICAD et à tous ceux, à toutes celles qui contribuent à la démarche éducative que souhaite la CDIP. Nous sommes alliés contre l’oubli, la banalisation et le négationnisme, nous sommes unis pour construire une histoire commune, un patrimoine de valeurs qui permettent non pas d'oublier, mais de croire à nouveau en la dignité de l'Humain.»
Source: Département genevois de l'Instruction Publique - mercredi 27 janvier 2010